Témoignage de Aba GAYLE. St OMER, maison des associations, le lundi 15 mai 2006.
Voici son histoire.
Un jour, alors que j’étais en ville, j’ai eu un
pressentiment ! Je retourne chez moi et le téléphone sonnait. Je
décroche et une personne, à l’autre bout du fil, me
dit : « votre fille a été tuée ! ». Je raccroche et
j’appelle de suite la police qui me répond : « votre fille n’a
pas été tuée par balles, elle a été poignardée ! » A cet
instant, la folie m’a envahie.
Les policiers n’étaient pas très sympathiques, les
psychologues ont essayé de m’aider, mes deux autres enfants vivaient très
éloignés de la maison et à cette période
de ma vie, je ne croyais en rien, je
n’avais pas de contact avec la religion et l’Eglise.
Que la douleur soit grande ou petite, les étapes du
deuil sont très importantes. Je ne pouvais pas pleurer en public ; je
criais sous la douche ; je me suis mise à lire. La colère était toujours
présente en moi.
Après l’arrestation de l’assassin, je me suis
adressée au procureur qui m’a dit : « Après l’exécution vous
vous sentirez beaucoup mieux ! ». Et je l’ai cru. C’est ce que l’on
dit à toutes les familles et l’on reste dans cette colère. A cette époque,
l’idée de vengeance était en moi et cela a duré huit ans. Quel gâchis !
Ensuite j’ai suivi des cours de méditation avec thérapie
de groupe où chacun expliquait son histoire et pourquoi il etait là. J’ai appris à rester calme et à écouter ma
voix intérieure.
Un peu plus tard, j’ai décidé d’aller vivre chez ma
mère. Au hasard des promenades, j’ai découvert une église, à la campagne, nous
y sommes allés avec ma mère. Il y avait là une femme pasteur et je l’ai
écoutée. Ensuite, je me suis mise à étudier les religions : le bouddhisme,
l’Islam, le Judaïsme et le Christianisme. L’enseignement de
Jésus : « Aimez-vous les uns, les autres ! »,
m’intéressait. J’ai voulu connaître aussi les miracles. L’homme qui faisait le
cours était juif. Il nous a dit qu’il avait pardonné à tous les gardes
allemands qui avaient tués tous les membres de sa famille. Cela m’a
interpellée.
Je suis arrivée à cette réflexion : le pardon
ne devient réel que si vous le faites savoir à l’assassin. J’ai donc décidé
d’écrire au meurtrier en lui expliquant tout ce que ma fille représentait pour
moi. « Vous l’avez empêchée de grandir et de s’épanouir et pour cela
vous devez être puni comme la loi le permet. Mais je me suis aperçue que je
pouvais vous pardonner, parce que vous êtes un enfant de Dieu. Je peux vous
rendre visite, si vous le souhaitez. » Le fait de poster cette lettre m’a
libérée de toute la colère que je portais depuis douze ans. J’étais en état de
grâce : j’avais pardonné à un être humain et j’étais convaincue que ce
n’était pas la peine de faire mourir cet homme.Un long chemin avait été fait de
mon intelligence à mon cœur. Je savais que je n’avais pas besoin de le tuer
pour que je sois heureuse et satisfaite.
Et puis il m’a répondu. Quel type de lettre peut
écrire un monstre ? J’ai été très surprise : il avait fait la même
démarche de foi que moi, il était plein de remords, de chagrin, il aurait voulu
changer sa vie contre celle de ma fille.
J’étais absolument terrifiée à l’idée de le
rencontrer. Mais surprise, je n’ai pas vu de monstres dans le parloir de la
prison. Au contraire, j’ai rencontré Dieu sur ces visages. Nous avons parlé de
Katrin, ma fille et lui a parlé de sa maman qui s’était suicidée lorsqu’il
avait 16 ans.
En sortant, j’ai décidé que je serai avocate sociale
et politique pour tous les hommes et toutes les femmes qui sont dans le couloir
de la mort. Je me suis fixé deux passions : enseigner la puissance du
pardon et travailler à l’abolition de la peine de mort. Cette décision a rempli
de bonheur mes deux enfants.
L’association est apolitique et non confessionnelle.
Le seul point commun à tous les membres, c’est la perte d’un enfant par
meurtre. Aux Etats-Unis, chaque année, un groupe fait une tournée de 30 jours,
dans un état différent, ponctuée de conférences. Au Texas, beaucoup de gens
condamnent la peine de mort.
A la question : Est-ce votre foi chrétienne qui
vous a aidée à pardonner ? Oui répond Aba Gayle.
Dans les plus grands malheurs, il y a toujours
quelque chose de positif. J’ai perdu Katrin mais j’ai obtenu Dieu.
Je continue à communiquer et à rendre visite à cette
personne. Actuellement Douglas est dans le couloir de la mort. J’irai le voir au moment de la sentence, mais toujours
dans une démarche de réconciliation. Je ne sais pas comment on peut imaginer
une façon humaine de tuer.